Traduire et comprendre un verset sanskrit est difficile.
Mais parmi ces versets, certains sont quand même plus difficiles que d'autres.
Le verset 32 du Vijnâna Bhairava Tantra est un cas de verset particulièrement difficile à traduire et à interpréter. La traduction est une forme d'artisanat, une oeuvre à remettre sans cesse sur le métier.
Comme je ne suis pas satisfait de la traduction que j'ai proposée dans Le tantra de la reconnaissance de soi paru chez Almora en 2015, en voici une nouvelle version, qui sera intégrée aux prochains tirages de ce livre :
« Si l'on contemple le
quintuple vide (des cinq sens)
comparable aux mandalas des plumes
du paon
(ou bien) aux formes étonnantes (de
ses ocelles),
on s'absorbera dans le cœur,
dans le vide absolu. 32
Explication de Shivopâdhyâya
On s'absorbera complètement dans
l'espace ultime en contemplant dans le cœur1
le quintuple vide – en haut, en bas, au centre et sur les côtés
– semblable aux formes étonnantes qui recouvrent les plumes du
paon et aussi à ses ocelles lumineuses, aux formes vides vers
l'intérieur (comme) vers l'extérieur2.
Ou bien, on contemplera l'essence vide des cinq sens.
Mais si l'on lit « comparable aux
formes étonnantes des plumes du paon », cela signifie :
On s'absorbera complètement, on entrera dans le vide absolu qui est
l'essence divine, en contemplant les cinq champs sensoriels comme
étant vides, car ils ne sont pas (clairement) manifestés tant
qu'ils sont de pures perceptions3.
Ils sont alors « le quintuple vide » comparables aux
mandalas aux formes variées – étant appréhendées comme forme,
comme saveur, etc. - qui sont des « formes étonnantes »
comme celles des plumes du paon et de ses ocelles. Les facultés
sensorielles sont des « mandalas » (dont la forme) est
comparable à la lettre « va » et qui sont la
quintessence, l'essence du nectar nourricier4. »
Notes
1En
l'occurrence le "cœur" représenté comme "niche"
ou "espace", désigne l'intellect (buddhi), partie la plus
diaphane du corps-esprit, apte à recevoir la lumière consciente.
Cet ensemble de termes, archaïque, n'est pas d'origine tantrique ou
śivaïte.
2Ce
quintuple vide, ce sont les cinq sens, ou plutôt les cinq champs
sensoriels, pareils aux sphères multicolores qui ornent le paon.
Ces formes aux couleurs éclatantes sont l'exemple traditionnel de
la richesses de la manifestation consciente qui préexiste en la
conscience, mais sous une forme indistincte. Le but de cette
expérience est de se familiariser avec la non-dualité des
perceptions sensorielles (le quintuple vide) et de l'espace de la
conscience (le cœur). Pourquoi sont-elles « vides à
l'intérieur et à l'extérieur » ? Les formes sont
« vides à l'extérieur » car elles n'ont pas de réalité
indépendante de la conscience. Et elles sont vides à l'intérieur,
dans la mesure où elles ne sont pas verbalisées par l'entendement
(manas). De plus, les « ocelles » sont de faux yeux qui
peuvent se trouver sur les plumes du paon, mais aussi sur les
poissons, les ailes des papillons ou d'autres insectes. Comme le
regard « vide » de celui qui est dans l'état de Shiva
(Śivamudrā), vide au-dedans, vide au-dehors. Enfin, n'oublions pas
qu'en Inde, les plumes de paon sont l'accessoire de base du
magicien, qui est en fait un hypnotiseur, comme on le voit par
exemple dans la fable du roi Lavana relatée dans le Yoga selon
Vasishtha, trésor de la non-dualité dont la version d'origine,
nommée « Traité qui est le moyen de la délivrance »
(Mosksha-upaya-shâstra), fut composé au Cachemire vers 950,
soit peu après le Vijnâna Bhairava Tantra qu'il cite
d'ailleurs.
3Tant
qu'ils ne sont pas « étiquetés » mentalement, ils
restent de pures perceptions, et donc ils ne sont pas « pleinement
manifestés », individualisés. Ils restent « vides ».
4Il
y a un jeu de mot pour définir mandala : la quintessence
(maṇḍa, « l'esprit » d'une liqueur ou « la
crème » du lait) en forme de lettre « va »
(lāntīdṛśim). La lettre « va » s'appelle Lānta en
sanskrit. Dans l'ésotérisme qui s'exprime ici, et qui se réclame
de la vision archaïque du sacrifice védique dont témoigne encore
la Bhagavadgītā, les facultés sensorielles (dont
l'entendement fait partie) sont des « dieux » qu'il faut
nourrir et qui, à leur tour, vont nourrir le « cercle
intérieur » ou le mandala du Soi. Les perceptions en
elles-même ont le pouvoir de nourrir l'âme et de l’enivrer.
Elles sont le « spiritueux », l'extrait de nectar
(rasa-sāra) dont s'abreuve la conscience. Le commentateur suggère
la pratique kaula (kula-dharma), autour de la viande, du vin et de
l'union sexuelle.
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Sur le Vijnâna Bhairava 32 :
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Sur le Vijnâna Bhairava 32 :
Bonjour David et merci infiniment pour tout ces trésors que tu nous transmet!
RépondreSupprimerc'était une première de plonger dans la contemplation de ce qui se passe au niveau des 5 sens...comment ils se manifestent et surtout leur origine non duelle...sunya panchakam
Les plumes de paon, avant de se déployer en mandala sont rassemblées en un seul axe, central, colonne
De l'unique se déploie le multiple
5 sens à explorer, ou commence et fini la sensation qui se déploie, ou commence et fini la sensation qui se résorbe par la contemplation interieure
NAMASTE
Vous avez dejà entendu le son que font les plumes de paon quand elles se déploient dans l'espace: frémissement!
RépondreSupprimerNAMASTE
Rajeshwari