samedi 14 décembre 2019

L'acte d'être, ce rien par qui...

"Je dors aux songes creux des hommes, mais mon cœur bouillonne en toute ces poussières."


Le disciple de l'enseignement de Ramana Maharshi, Michael James répond ainsi à un lecteur qui demande si le Moi n'est pas, tout simplement, "l'acte de percevoir", c'est-à-dire la perception :

"What we need to investigate is not the act of witnessing but the witness itself. That is, we need to investigate what is perceiving all this, not what is the act of perceiving all this."

Source

Dans l'esprit de James, la perception reste un acte. Or, conformément à l'enseignement de Shankara, tout acte est un changement. Donc l'acte ne peut appartenir au Soi immuable. Donc...

Outre que l'on voit ici à l'oeuvre un exemple de l'influence du Vedânta, on peut remettre en question ce présupposé. 

Pourquoi, en effet, séparer ainsi l'acteur et l'acte ? C'est faire comme si le feu, par exemple, était autre chose que ses pouvoirs de chauffer, éclairer, sécher, etc. Mais comment peut-on connaître une chose autrement que par ses pouvoirs, ses propriétés ? La substance n'est pas séparée de ses propriétés. Être une chose, c'est être une cause dit, je crois, Spinoza. 

De plus, pourquoi craindre ainsi l'action ? Certes, une chose peut difficilement changer sans cesser d'être elle-même, sans perdre son essence, son "Soi". Mais en va-t-il de même de la conscience ? Ne fais-je pas sans cesse l'expérience de changer, tout en restant le même ? Quoi de plus facile ? Ce paradoxe, sans doute inaccessible à l'entendement, n'en est pas moins un fait d'expérience, de toute expérience. En réalité, c'est l'expérience elle-même, car ce mot ne désigne rien d'autre que le Soi et la conscience, c'est-à-dire cette incroyable pouvoir de changer tout en demeurant le même. Sans effort. 
La conscience n'est pas séparé des actes. Ou plutôt, les actes ne sont pas séparés d'elle, pas plus que les branches ne sont séparés du tronc, pas plus que les vagues ne sont séparées de l'océan. Et la conscience elle-même, le Soi, mon essence et l'essence de tout, est l'acte pur d'exister qui, dans son sillage de lumière pour ainsi dire, fait exister toutes choses. Comment le sais-je ? Par expérience, en cet instant même. "Je suis" n'est pas un bloc statique d'être clos sur lui-même, mais extase infinie qui à la fois se ressaisit sans cesse et s'échappe sans fin, dans un mouvement de balance qui est "nonchalance pleine d'ardeur". "Je" est l'acte d'être, qui s'engendre à chaque instant et s'engendre du même coup comme toutes choses, à l'infini. Voilà pourquoi "je suis" est être, mais aussi bien conscience et donc plaisir, joie, béatitude, félicité, extase, ravissement bien enraciné, plongée au centre où "je suis" toujours déjà. Voici cette folie divine, cet sauvage errance donc chaque détail est une signature. 

On me dira peut-être que c'est là s'attacher à la connaissance. 
Mais l'attachement n'est pas un mal en soi. Le mal est - si tant est que l'on retienne cette idée de "mal" au sens d'un "mauvaise" qui serait manque de puissance - dans le fait de s'attacher à ce qui est petit. Et encore, même cette mesquinerie est transmutée en magnanimité, pour que que je reconnaisse en l'infime le débordement d'amour de l'Unique nécessaire, tu Tout qui est tout jusque dans les petits rien.

Quand je m'éveille à ce bouillonnement, le bavardage est comme assourdit par l'éloquence muette de l'infime, de l'infinie présence du rien resplendissant dans les détails.

Et "je suis" est cet acte, Cœur de la Yoginî.

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