jeudi 5 décembre 2019

La conscience est-elle une illusion ?

Selon Thomas Metzinger, un Bouddhiste adepte de la méditation de pleine conscience, le Moi est une illusion, mais la conscience aussi. Il note la découverte de la transparence absolue ici-, maintenant, au-dessus des épaules (grâce à l'expérience proposée par Douglas Harding), mais il en tire des conclusion illusionnistes : cette transparence est du à la perfection de l'illusion qu'est la conscience, comme un camouflage parfait ou comme une paire de chaussure parfaite au point qu'on ne sent plus du tout leur présence. La conscience semble transparente parce qu'elle est une illusion achevée, non parce qu'elle transcende le plan physique. Quand j'écris ces mots, je n'ai pas conscience de mon activité cérébrale, pourtant cause de mon activité consciente. C'est la théorie dite "de l'illusionisme" : la conscience est une illusion produite par le cerveau.

Voici une conférence intéressante de Metzinger, dont la vision de la conscience est, en gros, partagée par beaucoup de philosophes :



Deux objections :
1) Si la conscience est une illusion, qui est victime de cette illusion ? Si le Moi n'est qu'un trompe-l'oeil, qui est témoin de ce prodige ?
2) SI la conscience est illusion, alors elle déforme la réalité. Comment alors expliquer l'efficactité de nos actions sur la base de cette illusion ?

Là encore, ces problèmes, ces réponses et leurs limites ont été formulées depuis longtemps dans des philosophies prémodernes.

On pourrait dire que cette théorie abouti à une forme de non-dualité du sujet et de l'objet. Cette pédagogie, bouddhiste, est l'opposé symétrique de la pédagogie védântique. Le bouddhisme réduit le sujet et tout le reste à des objets, pour finalement récuser entièrement toute dualité du sujet et de l'objet. Le Vedânta réduit tous les objets au sujet pour finalement récuser entièrement toute dualité entre le sujet et l'objet. Le résultat semble donc être le même, malgré les pédagogies inverses. 
Cependant, le Vedânta (et a fortiori la Pratyabhijnâ) me paraît plus efficace. Du reste, force est de constater que quand le bouddhisme veut être cohérent dans sa pédagogie, il est contraint d'introduire des notions comme celle de "claire lumière", de "Grand Soi éternel", de "conscience qui se produit d'elle-même", etc. qui sont sans doute étrangères au bouddhisme originel. La pédagogie réductionniste qui consiste à tout réduire aux choses ("personne ne pense, il n'y a que des pensées", etc.) est inaboutie. Elle peut paraître efficace, mais seulement pour des individus qui, de fait, on déjà été exposé au Vedânta ou à la Pratyabhijnâ. On peut alors se permettre de nier l'existence objective du Moi sans avoir à pointer explicitement le Moi véritable, la conscience. Mais c'est seulement parce que cela avait été fait avant, à un moment ou à un autre. J'affirme donc que, sans les Oupanishads, il n'existerait aujourd'hui aucune forme de non-dualisme, avec ou sans Moi, avec ou sans conscience. Et la conscience n'est pas une illusion, mais bien le fond unique des notions d'illusion et de réalité.

3 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. La première question que je me pose en lisant votre article c'est: qui et que représente monsieur Metzinger, à part lui-même? Se baser sur ses affirmations pour battre en brèche les thèses bouddhistes de la vacuité ou de l'illusion, c'est comme se baser sur la copie d'un élève de terminale pour réfuter l'aristotélisme. ou tout autre système philosophique. Si vous posiez ces questions au Dalaï Lama, ou à un maïtre dzogchen, à quelqu'un qui a étudié la philosophie bouddhiste dans toute sa subtilité pendant des années puis l'a expérimentée d'autres longues années par la méditation, vous auriez certainement des réponses précises et cohérentes d'un autre niveau.
    Pour faire bref, dans la littérature dzogchen, il existe des explications précises sur l'origine de l'illusion. En fait, la conscience n'est ni illusion, ni non-illusion, c'est par nature insaisissable, inexprimable (cf la vacuité du sutra du coeur), et clarté, expressivité. Et baste. Mais cette conscience primordiale peut s'auto-illusionner, se méprendre sur elle-même, d'où cette illusion fondamentale, apparaissant avant même la dualité, la distinction je/autre. On parle donc d'une "immaturité" de la conscience primordiale, du rigpa, qui nécessité d'être raffinée. Ensuite se produisent d'autres types plus grossiers de méprise/illusion, mais dire que la conscience est illusion est un raccourci plutôt maladroit. On pourrait aussi se demander de quelle conscience on parle. Le bouddhisme décrit différents types de consciences, en utilisant différents termes bien distincts. Parler simplement de conscience est quasiment incompréhensible, en fait. Pour plus de détails sur les différents types d'illusion selon la tradition dzogchen, lire l'Escalier de Cristal, de Kunzang Pema Namgyal (Gangteng Tulku Rinpoche) tome 3, p37 à 43.

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    1. Oui, je crois que le dzogchen est très différent du bouddhisme auquel adhère Metzinger, qui représente plutôt le Theravâda et un bouddhisme postmoderne.

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