La Bhagavad Gîtâ est le texte le plus connu de l'hindouisme.
Pourtant, il reste inconnu, malgré sa bibliographie impressionnante.
Le contexte est lui aussi impressionnant : rien de moins qu'une guerre mondiale et fratricide, une tragédie cosmique, due à l'excessive prospérité des humains qui menace la survie de la Terre.
Au-delà des préchi-préchas des swâmîs gnan-gnan et de leur sermons savoureux comme des plats préparés pour ne pas choquer le bourgeois, la Gîtâ est donc véritablement un texte (tantra) essentiel.
Abhinava Goupta nous a laissé un ensemble de notes sur des passages du texte, dans sa version cachemirienne (une vingtaine de versets en plus). Nous avons aussi le commentaire, excellent car il explique la Gîtâ par la Gîtâ, de Râmakantha, disciple d'Outpala Déva.
Krishna est Kâlî, la conscience comme devenir, comme impermanence.
Quelques remarques à ce propos :
mayi sarvam idaṃ protaṃ sūtre maṇigaṇā iva
"Tout ceci est tissé en moi,
comme des perles sur un colliers." (VII, 7)
De fait, tout est dans la conscience, tout "tient" par cet invisible ciment, comme le prouve l'expérience, toute expérience.
La conscience parle, elle s'éveille à sa véritable nature :
ahaṃ kṛtsnasya jagataḥ prabhavaḥ pralayas tathā
"Je suis la source et la dissolution du monde entier." (VII, 6)
C'est précisément ce que montre le Chant de la Reconnaissance du Maître en soi (Îshavara-pratyabhijnâ), par Outpala Déva. D'ailleurs, ce dernier cite le verset 15 du chapitre XV de la Gîtâ et en fait le pivot de son discours :
Après avoir réaffirmé son immanence :
sarvasya cāhaṃ hṛdi saṃniviṣṭo
"Je suis présente au cœur de tous",
il affirme que c'est bien lui qui pense, qui perçoit, qui oublie, et Outpala Déva fait de cette déclaration étonnante le canevas de la Reconnaissance :
; mattaḥ smṛtir jñānam apohanaṃ ca
"De Moi viennent la mémoire, la perception et l'oubli",
sachant qu'Outpala Déva rapproche "l'oubli" (apohana) de la notion bouddhiste "d'exclusion" (apohana aussi), base de la théorie du sens chez le bouddhiste Dharmakîrti (autre philosophe cachemirien), théorie qui vise à expliquer comment les concepts (vikalpa) peuvent signifier quelque chose d'une réalité qu'il n'appréhende pourtant pas - car, selon lui, seul la perception connaît le réel - et comment, sur cette base, il nous sert à "fonctionner" avec une relative efficacité parmi les objets; au sein d'une réalité avec laquelle le langage n'entre pourtant jamais en contact.
La Pratyabhijnâ peut être considérée comme une explication de ce passage et d'autres de la Gîtâ, comme ceux-ci :
jīvanaṃ sarvabhūteṣu
"Je suis la vie de tous les êtres".
[Je note cet autre déclaration frappante, entre autres :
dharmāviruddho bhūteṣu kāmo 'smi
"Dans les êtres, je suis le désir qui ne s'oppose pas au Dharma"]
Il serait donc important d'écrire un livre sur cette interprétation tantrique de la Gîtâ. Il y a là, je crois, une profondeur insoupçonnée, malgré l'abondance des interprétations.
Nota bene : je ne pratique pas l'écriture inclusive ; ici, parce que la conscience enveloppe les genres et s'en joue ; loin d'être "neutre", elle est libre d'assumer toutes les postures sans être confinée en aucune.
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