jeudi 29 août 2019

Religion et spiritualité

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Ramana et Jackie. Simple.

Une traduction des œuvres sanskrites de Ramana Maharshi paraîtra chez Almora l'an prochain.
Ce travail m'a offert la possibilité de me replonger dans l'enseignement de Ramana, l'un des premiers sages sur ma route. Je l'ai rencontré quand j'avais 13-14 ans en 1985-86. Il reste remarquable par la simplicité, la clarté et le côté directe de son enseignement. 

De plus, Ramana est proche de nous dans le temps. Pourtant, son enseignement est interprété de façons complètement différentes. 
Il faut dire que Ramana ne voulait pas d'enregistrements ni de prises de notes sur le moment. La plupart des "dialogues avec Ramana" sont donc des notes prises de mémoire, après coup, et souvent via des "traducteurs" plus ou moins compétents, puisque Ramana, quoique parlant l'anglais, préférait s'exprimer en tamoule, une langue remarquablement difficile. Il faut garder tout cela à l'esprit quand on lit tel ou tel propos attribué au sage d'Arounâtchala. Quel est son véritable message ?

Et donc, depuis le début, il y a en gros deux interprétations de Ramana :

I - Le dévoiement religieux

D'un côté, il y a ceux qui disent que l'essentiel chez Ramana était sa présence physique, seule capable de transmettre une mystérieuse énergie spirituelle. Selon le principal partisan de cette interprétation, David Godman, l'enseignement oral de Ramana est un amuse-gueule. Il faut absolument se mettre en la présence physique d'un être "réalisé", sans quoi on se retrouve bloqué sur son chemin intérieur. Pour lui, il faut pour ainsi dire recevoir des "injection" d'énergie pour progresser vers la réalisation. Celle-ci est comme une maladie qui se propage par contagion physique. 

Or, ceci implique que l'enseignement oral de Ramana était en quelque sorte faux, puisque Ramana affirmait qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de retourner l'attention vers l'intérieur et plonger en soi. Mais la croyance au pouvoir des "saints" de transmettre une énergie qui agit comme une énergie physique est profondément ancré dans la psyché humaine. On la retrouve partout. Il suffit de toucher le sage pour recevoir sa sagesse. Ainsi dans le Banquet de Platon, Agathon veut s'asseoir le plus près possible de Socrate, espérant ainsi qu'un peu de la sagesse du mystérieux vieillard passera en lui. Mais Socrate reprend sa naïveté, en rappelant, comme Ramana, que la sagesse n'est pas comme de l'eau qui peut se communiquer d'un vase à un autre : la sagesse consiste à retourner son attention vers l'intérieur, vers la source de l'attention elle-même. 

Mais que peuvent les sages contre les clichés à propos de la sagesse ? Pas grand'chose, apparemment. 
Comme le cas de Ramana est récent, il est fascinant de voir comment ces croyances prennent le dessus sur le message de Ramana lui-même. Rares sont ceux qui mettent son enseignement en pratique. La plupart des gens qui vont à Arounâtchala, où Ramana a passé toute sa vie, y vont dans l'espoir de recevoir un peu de "l'énergie" du lieu. Rares sont ceux qui s’intéressent au message de Ramana. La plupart y vont pour recevoir leur dose d'énergie, pour alimenter leur chakras et relever leur fréquence vibratoire. Franchement, ils se foutent de ce que Ramana avait à dire. "Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'énergie" est la maxime de ce consumérisme vaguement spirituel, mais exactement commercial.

La spiritualité devient religion. On marche là où Ramana a marché, on touche ce qu'il a touché, on voit ce qu'il a vu, on refait ses promenades, on rencontre ses descendants, on visite sa chambre, on touche son lit, et ainsi de suite. Un culte prend forme. Son enseignement est récité comme un Mantra doué de pouvoirs magiques, de façon mécanique, sans en méditer le sens, et comme pour en cacher le sens. On se préoccupe plutôt de savoir si vous êtes végétarien, "pur", chaste, on veille à ce que les femmes soient du côté des femmes, les hommes avec les hommes ; il faut tourner dans le bon sens autour de la statue de Ramana. 

David Godman alimente ce mouvement en faisant croire que Ramana n'était qu'un corps transmettant une énergie, une sorte d'antenne, et que la proximité physique avec cette antenne est l'essentiel, alors que Ramana disait le contraire. C'est un peu comme ces gens qui prétendent enseigner la "lignée de la Pratyabhijnâ", alors qu'ils enseignent précisément le contraire de cette philosophie. Cela me frappe d'autant plus que Godman est un érudit de Ramana. Mais un érudit parfois plus religieux que spirituel. Il raconte maintes anecdotes autour de Ramana, à la manière d'un guide de Lourdes ou d'Assises. Il ne parle presque jamais du message de Ramana, et de moins en moins souvent, me semble-t-il. La religiosité, la simple foi en les vertus physiques supposées de Ramana et d'Arounâtchala, l'emportent peu à peu, inexorablement, sur la pratique simple conseillée par Ramana. Sous nos yeux, une spiritualité simple et indépendante est en train de devenir une religion comme une autre, avec ses rites, ses lubies et ses petites habitudes. Godman, "l'homme de Dieu", semble se ficher de Dieu, au fond. Il parle de Ramana comme ces érudits qui vous racontent pendant des heures les détails anecdotiques d'un Jean de la Croix, sans jamais mentionner l'essentiel, à savoir son "si tu veux être tout, renonce à tout" et chemine par le Rien. 

C'est fascinant : tout ceci, qui se veut une adoration de Ramana, est en réalité une trahison de Ramana. Voilà la religion : les gardiens du Temple qui deviennent des cerbères. Les anges tournent en diables. Bien sûr, toute religion n'est pas spirituelle à l'origine. Mais, même quand spiritualité il y a, elle se transmute en religion. L'unité devient dualité. La simplicité devient complexité. L'intime devient éloignement. L'accessibilité universelle se fait hiérarchie, prend de la distance dans un imaginaire qui éloigne la réalité immédiate au prétexte d'en célébrer la majesté. Terrible illusion. Force du collectif, des mécanismes de groupe.

II - La fidélité au message

A l'opposé de cette dérive religieuse, il y a les gens comme Michael James. Il est de la même génération de Godman. Il a vécu en même temps que lui à la bibliothèque de l'ashram. Mais pourtant, ils ont des interprétations bien différentes de l'enseignement de Ramana. James a appris le tamoule littéraire. Depuis sa jeunesse, il s'attache à la parole de Ramana, plutôt qu'à son apparence. Et il invite à écouter Ramana, plutôt qu'à contempler béatement ses photos dans l'espoir d'être sauvé. Et de fait, Ramana l'a répété encore et encore : Moi, Ramana, je ne suis pas cette personne que vous voyez ; aucun salut ne viendra de cette créature périssable ; le vrai maître digne de confiance, c'est la conscience que vous êtes, "je suis je", simple conscience de soi, retournement de la conscience vers elle-même. Cela seul est nécessaire et suffisant. Ramana n'était pas prosélyte. Mais il était clair : il n'y a qu'une seule méthode de salut, celle de plonger en soi, directement. 

Aucune source extérieure n'est nécessaire ni efficace. Vous êtes ce que vous cherchez. Il n'y a que la conscience qui puisse se retrouver. La conscience n'est pas une chose qui se montre. Elle ne peut donc se transmettre. Si Ramana ou un autre nous le disent, c'est parce que nous sommes extravertis. Nous regardons vers le dehors, alors la vérité nous apparaît au-dehors. Mais c'est impossible. La vérité est la conscience et la conscience ne peut être une chose, là, dehors. 

Alors comment ? Par la parole. La parole est la seule "chose" capable de pointer vers la Non-chose. C'est le propre du signe, d'être capable de "pointer vers", de se transcender. Voilà pourquoi Ramana mettait l'accent sur la parole. Il n'a jamais proposé de "transmission d'énergie". En revanche, il a écrit des textes et il a parlé. Cette parole est un pont vers la parole intérieure, indicible, inarticulée "je suis je", vers ce silence intérieur qui est, non pas l'opposé de la parole, mais son apothéose.  

Et alors, seule cette pratique du retournement de l'attention est nécessaire est suffisante. Et Ramana précise que le seul signe indicateur de progrès est le progrès dans la force de notre attention vers l'intérieur. Mais ce geste, si aisé quand on s'y adonne, est si fragile ! Il se perd aisément dans l'extérieur, comme une rivière dans les sables du désert... Pourtant, il n'y a pas d'alternatives. Aucune. Tant que l'on regarde vers l'extérieur, mille approches singulières sont possibles et légitimes. Mais le seuil est unique. Il n'y a que ce geste, si simple, de plongée en soi. Ici et maintenant. 

Ramana a affirmé, encore et encore, que tous peuvent accéder à cette pratique, pour peu qu'ils la...pratiquent. Que nous soyons purs ou impurs, éveillés ou endormis, réalisés ou ordinaires, tous nous pouvons plonger. Et il n'y a pas d'autre salut. C'est le message, si simple, des sages vrais. Comme dit James, si un vrai sage vous parle, il vous renverra vers l'intérieur. Il vous renverra à votre liberté. Les autres vous demanderons de faire ou de ne pas faire ceci ou cela. De vivre ainsi ou autrement. Autrement dit, ils nourriront la tendance à l'extraversion. Le vrai "sage" pointe vers le vrai sage : la présence nue. Chacun transposera selon ses préférences. Mais le fond est le même, évident, inévitable.

Pour les citations de Ramana à l'appui de cette interprétation, vous les trouverez en anglais sur le site de Michael James et en français dans mon recueil de traductions qui paraîtra au printemps 2020 chez Almora.

Bien sûr, Ramana était ancré dans ses particularités culturelles. Et cela compte. Mais l'essence est universel. Moi aussi je suis ancré. J'aime ma nature, mes paysages, les petites chapelles et les lumières de la Méditerranée. Mais l'essentiel est la lumière universelle qui éclaire ces singularités, qui les dépasse sans les nier. Ainsi tout est simple, clair et puissant. 

David Godman expose clairement sa vision dans cet article, même affirme ne pas être absolument certain de ses conclusions :
https://davidgodman.org/newsite/wordpress/the-power-to-enlighten/
Malgré cela, il a écrit aussi de nombreux articles passionnants. Les deux plus importants, à mon avis, sont ces deux-là, sur le "je suis je" (aham aham sphurattâ) de Ramana :
https://davidgodman.org/newsite/wordpress/i-am-the-first-name-of-god/
https://davidgodman.org/newsite/wordpress/i-and-i-i-a-readers-query/
Et un article fondamental sur les sources pour connaître l'enseignement de Ramana Maharshi :
https://davidgodman.org/newsite/wordpress/the-authenticity-of-bhagavans-recorded-teachings/

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Il y a une expression qui dit : « c’est trop beau pour être vrai ».
    Il y a une forme de résistance similaire de la part de l’esprit qui se dit, je crois : « c’est trop simple pour être vrai ».
    « Je suis déjà là? Je « est » déjà là? Alors, toutes ces complications ne servent à rien? Tous ces efforts inutiles? »
    Douleur de la perte et refus de s’être trompé soi-même.
    « C’est si facile? ».
    J’avais lu d’un sage : « la seule chose difficile c’est que cela devienne facile ».

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    1. Oui, tout à fait. "Difficile parce que facile", dit un Tantra tibétain.

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Pas de commentaires anonymes, merci.

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