La tradition Koula, c'est le Tantra non-duel, la transmission de l'éveil dans le corps.
Je voudrais ici essayer de retraduire l'un de ses textes les plus anciens, datant peut-être du VIIIè siècle, L’Éradication des ténèbres (Timora-udghâtana, cliquer ici pour voir la transcription que j'utilise), un manuscrit unique découvert au Népal. Le texte est très corrompu, de nombreux passages manquent. Mais ce texte me semble témoigner du Tantra non-duel à l'état pur, primitif, avant les versions édulcorées ou sophistiquées qui sont apparues ensuite. Et le texte est cité par Abhinava Goupta et Kshéma Radja, bien que ces citations ne se retrouvent pas dans le manuscrit qui nous est parvenu.
Le premier chapitre décrit le contexte symbolique de la transmission entre Shiva et Shakti, entourés de yoginîs, de siddhas et autres sages mythiques.
L’Éradication des ténèbres
Chapitre I : Shiva et Shakti
"Shiva et Oumâ (la Déesse) sont au sommet du Mont Kaïlash. C'est un sommet charmant, entretenu (-sevite) par les êtres accomplis et les yogis, par des hordes de nymphes, des esprits des forêts, des créatures célestes, entourés d'arbres, ornés de mines de joyaux, des pics variés, des nuages vivants, nimbé de l'éclat de l'or inondé de soleil, peuplé de sages (rishi) et d'innombrables magiciens, de hordes de lotus, de fleurs rouges Tchampa (comme les encens) et autres, nimbés d'une aura écarlate due aux arbre Ashoka et d'autres arbres magnifiques.
Shiva est assis sur un trône d'or et de pierres précieuses avec Shakti. Orné de crânes, il est entouré de ses cinq faces et il porte seize serpents. Doué de trois yeux, sa chevelure est une masse relevée, comme une tiare, au sommet de laquelle siège la Lune. Ses cheveux rougeoyants inspirent la terreur, tel un feu brûlant. En guise de cordon sacré, il porte un cobra (nâga). Ses boucles d'oreille imposent le respect. Il porte les rois des nâga en guise de bracelets et d'autres anneaux d'épaule. Le Dieu des dieux resplendit de tout cela, en serrant contre lui la Déesse, Oumâ, ainsi que le trident aux pointes terribles. Ce héros porte aussi aussi un glaive tranchant comme le diamant, une hache puissante et un rosaire splendide. Ses oreilles sont ornées de lotus ; il tient une queue d'éléphant en guise de chasse-mouche et ses chevilles sont ornées de clochettes. Il est revêtu d'une peau de tigre qui fait peur à voir, ainsi que d'une longue dague décorée de gravures. Orné de la Grande Moudrâ, sa longue langue lèche (l'espace), créant et détruisant le samsara. Il tient un crâne dans sa main gauche, un tambour damarou, ainsi qu'un disque et un arc. Couvert de cendres, il tient un lotus et sa dame. Il rit à gorge déployée, d'un rire qui paralyse (kilakilâyantam ?) terrible, incarnation de la peur, entouré de grand yogis et de grandes yoginîs.
(manque une feuille...)
La Déesse (probablement) demande :
Révèle-moi le nectar du Koula, l'essence de la tradition pour les nuls (mûrkha ?).
... (un passage que je ne comprends pas)
(pour ?) les imbéciles ignorants perdus dans la jungle des systèmes, qui ne connaissent pas la félicité ultime, le nectar suprême, la gnose du Koula.
(Shiva répond ?) :
Ô Déesse ! C'est la Shakti du désir qui est la source de toute réalisation, quelque soit la pratique ou la règle.
Là où il n'y a pas de pratique compliquée, pas de préférence pour la dualité, ni pour la non-dualité, c'est là que je suis, comme un caruka (?).
Que l'on soit célibataire ou marié, engagé dans un projet, où que l'on soit, on atteindra la réalisation grâce à la possession par la Shakti de Roudra reçue d'un maître, grâce au Yoga du Koula."
Après une longue introduction qui nous situe dans l'ambiance baroque du Tantra, Shiva délivre l'essentiel de son message dans cette dernière phrase : peut importe les signes extérieurs et les situations. Seul importe la grâce, "la possession par la Puissance de Roudra". Roudra est un autre nom de Shiva. La Puissance de Roudra (rudra-shakti) est l'énergie divine quand elle se manifeste par la possession, l'envahissement de tout l'être par une énergie, un mouvement comme une vague, qui submerge le corps qui la reçoit. Les signes physiques et intérieurs de cette transmission d'énergie seront décrits aux chapitres 4 et 6, que nous verrons ensuite.
L'essentiel est la plongée à l'intérieur, directement. Sans attendre. Ici et maintenant. Nous avons tous ce savoir instinctif. C'est tout.
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