Le shivaïsme du Cachemire parle de "vibration". Mais en quel sens ? Est-ce la vibration de quelque chose ? Cette "vibration" s'apparente-t-elle à ce que la physique moderne, classique ou quantique, entend par "vibration" ?
- Bien sûr que non. Le shivaïsme du Cachemire n'avait aucune connaissance des lois de la nature. Sa seule "physique" était la "physique" empirique, intuitive, basée sur le bon sens, souvent trompeur en ce domaine.
Mais alors, qu'est-ce que cette "vibration" ?
- Abhinavagupta explique :
iha ghaṭaḥ kasmāt asti , svapuṣpaṃ kasmāt nāsti ityukta itivaktāro bhavanti ghaṭo hi sphurati mama na tu itarat iti / tadetat ghaṭatvameva yadi sphurattvaṃ sphuraṇasaṃbandhaḥ , tat sarvadā sarvasya sphuret na kasyacidvā , tasmāt mama sphurati iti ko'rthaḥ , madīyaṃ sphuraṇaṃ spandanam ādiṣṭam iti / spandanañca kiñciccalanam , eṣaiva ca kiñcidrūpatā yat acalamapi calamābhāsate iti , prakāśasvarūpaṃ hi manāgapi nātiricyate , atiricyate iva iti tat acalameva ābhāsabhedayuktamiva ca bhāti /
En ce monde, d'où vient que ce vase existe et qu'une fleur imaginaire n'existe pas ?
- A cela, le questionneur lui-même répond : "Ce vase existe simplement parce qu'il se manifeste à moi/ il m'apparaît".
- (Mais) si le fait d'être apparent était le vase lui-même, si la relation entre l'apparence (entre ce vase et son) apparence (était une relation d'identité), alors il s'ensuivrait que ce vase devrait être manifeste pour tous et toujours, ou bien pour personne !
Mais alors, que signifie "Ce vase se manifeste à moi" ?
- Cela indique ma manifestation, ma vibration (spandana). Or la vibration est une sorte de mouvement. Et ce mouvement est seulement "une sorte" de mouvement, car bien que (la manifestation) soit immuable, elle semble être en mouvement. En effet, l'essence de la manifestation (=de la conscience comme manifestation) est que rien n'existe en plus de cette manifestation, pas même d'un cheveux. Mais la manifestation (=ce qui est manifesté, l'objet, les choses) semble être quelque chose de plus, (qui existe indépendamment de la conscience comme champ de lumière manifestante/illuminante). La conscience/vibration se manifeste donc comme l'apparence d'une dualité (entre la conscience manifestante et l'objet manifesté, alors que l'objet n'est rien d'autre que la conscience manifestante en train de se manifester)." (Vimarshinî, I, 5, 16)
La conscience semble faire l'expérience d'un monde hors d'elle-même. Elle semble "sortir", "se transcender", se dépasser vers un en-dehors d'elle-même (=mouvement), alors qu'en réalité tout se manifeste en elle, par elle ; c'est elle seule qui se manifeste comme monde (=immobilité).
Le mouvement apparent correspond à l'extériorité, à la dualité. L'absence de mouvement réel (vers un "dehors") correspond à l'intériorité, à l'identité de toute chose avec la conscience. Tout est conscience, mais tout semble autre chose que la conscience. Ce vase me semble exister indépendamment de la perception que j'en ai, alors que c'est ma perception qui le crée.
Ce paradoxe est ce qui est désigné, dans le shivaïsme du Cachemire, par le mot "vibration", qui est donc une "sorte de" mouvement, c'est-à-dire une apparence de mouvement.
Ce pouvoir de la conscience de se manifester soi comme étant autre que soi, tout en restant soi, est aussi appelé "pouvoir" (shakti), "liberté" (svâtantrya), "coeur" (hridaya), "désir" (icchâ), "vague" (ûrmi) ou "gonflement" (ucchalattâ), entre autres.
"Vibration" désigne donc le paradoxe de toute expérience : le monde semble se donner comme existant en dehors de mon expérience, mais il se donne aussi bien dans l'expérience et seulement par elle.
"Vibration" est donc ici une image qui illustre le paradoxe inhérent à toute conscience, à la fois duelle et une, et non une quelconque force occulte.
Râga Pancham Kosha à la vînâ de Shiva, enregistré dans une église parisienne :
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