Abhinavagupta explique ce qui est utile pour atteindre l'éveil.
Essai de traduction de ce texte difficile, où l'on reconnaîtra des thèses et des arguments qu'Abhinavagupta reprendra dans son Tantrâloka : :
evaṃ maheśvaro devo viśvātmatvena saṃsthitaḥ
kramikajñānayogābhyāṃ dhāraṇābhir upāsyate // 2.1 //
tattvakramaṃ gatadvaitamalamāyādijālakam
aṣṭādaśe tat paṭale tattvaṃ samyag vibhāvyate // 2.2 //
prāṇāyāmādikaṃ yatra heyam ity eva varṇyate
na hi tasya parāṃ vittiṃ prati kācid upāyatā // 2.3 //
antaḥ saṃvidi yan nirūḍham abhitas tat prāṇadhīvigrahe
saṃcāryeta kathaṃ tatheti ghaṭatām abhyāsayogakramaḥ
ye tv abhyāsapathena saṃvidam imāṃ saṃskartum abhyudyatās
te kiṃ kutra kutaḥ kathaṃ vidadhatām ity atra saṃdihmahe // 2.4 //
abhyāso hi punaḥ punar arthaḥ so 'pi ca dikkālapratibhedāt
ābhāsetarayogasamuttho dehamanaḥprāṇākṣapathe syāt // 2.5 //
prakāśaikaghane rūpe bhairavīye vivikṣavaḥ
sakṛdvibhātavijñānaviśrāntyaiva susaṃsthitāḥ // 2.6 //
"Dieu, le Maître des maîtres,existe sous la forme de toutes choses.
Il est adoré à travers un yoga de la connaissance graduel,
à commencer par les 'concentrations'.
La procession des états de conscience
est sans dualité, dépourvue de la cage
des impuretés, à commencer par celle de la dualité.
L'être réel est éviqué tel qu'il est dans
le dix-huitime chapitre du Tantra de la Déesse-alphabet.
(Shiva) affirme qu'ici, le contrôle du souffle
et autres (auxilliaires du yoga) doivent être abandonnés.
En effet, ils ne sont d'aucune utilité
à l'égard de la conscience transcendante.
Ce qui est enraciné dans la conscience
peut être pratiqué dans le souffle, l'intellect et le corps.
Si l'on demande comment ?
On répond que ce le chemin de ce yoga de l'exercice
est possible (car il respecte le fait que tout est dans la conscience).
En revanche, ceux qui, au moyen de ce chemin de l'exercice,
veulent produire cette réalisation de la conscience,
que pourraient-il produire ? D'où ? Comment ?
Tel est notre doute !
En effet, l'exercice vise encore et encore
(un objet) séparé dans l'espace et dans le temps.
L'exercice naît d'une discipline (qui vise) ce qui n'est pas (déjà) donné et qui ne peut concerner que le corps, l'esprit, le souffle et les sens.
Ceux qui discernent l'essence divine
qui est conscience ininterrompue
sont bien établis en un repos
qui est connaissance manifestée une fois pour toutes."
Mâlinî-vijaya-vârttika, II, 1-6
l'idée est qu'il est absurde de vouloir s'élever à travers des niveaux de conscience ("corps, souffle, intellect") jusqu'à la conscience, alors que tous ces niveaux ne sont que des manifestations de la conscience, de états... de conscience. En effet, aucun de ces plans d'expérience n'existerait s'il n'était pas... expérience, c'est-à-dire conscience. Les reflets ne peuvent refléter le miroir : c'est le miroir qui accueille les reflets !
Faute de discerner cette hiérarchie, et parce qu'elle est victime de l'erreur d'inversion, la discipline des exercices du yoga est inutile pour atteindre la conscience. La conscience ne peut être manifestée par le corps. C'est le corps qui est manifesté par elle.
Le moyen de réaliser la conscience est seulement de discerner cela. Seule la raison (tarka) est véritablement utile dans le yoga. Rappelons que, dans le yoga tantrique, le yoga n'a pas huit auxiliaires, s'achevant dans le samâdhi, mais six, s'achevant dans la raison, qui est donc le sommet de ce yoga. Seule compte l'intuition du fait que tout est manifestation de la conscience, dans la conscience, comme en un miroir. La raison est ici comprise comme le dynamisme de l'intuition du vrai, présente au sein même du corps et de l'esprit, comme un éclair dans les nuages sombres.
Par conséquent le corps et l'esprit, en eux-mêmes, ne peuvent réaliser la conscience, car ils ne sont pas doués de conscience propre. Ils ne sont pas conscients par eux-mêmes. En eux-mêmes, ils sont inertes. Il n'y a qu'une seule lumière : la conscience est donc évidente. Et la réalisation, c'est réaliser cela.
Certes, Abhinavagupta admet une autre approche, un autre yoga fondé sur le corps et l'esprit. Mais c'est un yoga ésotérique axé sur le ressenti et sur l'observation de l'instant, et non un yoga grossier consistant en pratiques grossières. Le yoga, selon Abhinava, doit être enraciné dans l'intuition que tout est conscience. A cette condition, cette intuition peut alors s'écouler dans l'esprit, le souffle et le corps. Tout vient de la conscience. Rien ne peut mener à elle. Mais il n'y a là aucun problème, car ce qui cherche la conscience est conscience.
Le but du yoga n'est pas de trouver la conscience, mais d'imprégner le corps, le souffle et l'esprit de conscience, comme des mottes de terre asséchées peu à peu imprégnées d'eau. La transformation porte sur les choses. Comment ? En reconnaissant que les choses apparaissent et disparaissent dans la conscience, par la conscience, comme des vagues.
Seule cette intuition définitive est efficace pour transformer peu à peu le corps, le souffle et l'esprit.
En ce sens, le yoga ne mène pas à l'éveil, mais il en provient.
Superbe texte.
RépondreSupprimerMerci.