jeudi 2 avril 2020

Désordre humain, ordre divin


Ce qui paraît désordre serait-il partie d'un ordre supérieur ?
Semblance de défaite est-elle victoire dans une vue plus vaste ?
Dans le passage suivant, Madame Guyon essaie de nous faire comprendre
pourquoi la vie intérieure connait tant de hauts et de bas :

"La conduite que Dieu tient sur l'homme
est une conduite universelle : car quoi qu'il y ait l'ordre particulier
qui regarde chacun de nous, il est néanmoins tellement dépendant
de cette ordre général, que pour peu qu'il s'en éloignât il mettrait 
tout dans le désordre. Les désordres, les renversements des empires
sont une fuite de cet ordre général ; et ce qui nous parait désordre
à cause de notre manière de voir les choses, est un ordre admirable
selon la divine sagesse : de sorte que ce désordre particulier est
ce qui conserve l'ordre général."

Quand donc nous avons vécu une expérience intense, mystique,
un moment de grâce ressentie, et que ce moment semble passer,
que nous avons l'impression de retomber, que la présence nous quitte,
ce "désordre" s'insère dans la trame d'un ordre plus vaste. 
Car nous ne connaissons pas la fin de l'histoire. Et vouloir juger
de tous les détails avant cette fin est difficile.
Nous sentons confusément, mais avec force, cette fin : c'est la foi.
Et si Dieu semble nous quitter, c'est parce que ce que nous avons pris
pour Dieu n'était pas Dieu. Et comme Dieu nous veut à lui,
il nous prive de ce qui n'est pas lui, afin que nous ouvrions les yeux,
dans un regard plus mûr, animé par un amour plus gratuit.
Même si l'expérience a été authentique, souvent elle
se solidifie peu à peu, se couvre d'images et d'une volonté
d'en faire une chose que l'on puisse utiliser quand on veut,
comme un outil. En un sens, il est vrai que Dieu est toujours
disponible, en son don. Mais de cette eau, une glace se forme
peu à peu, qui semble perdre en fluidité. Dieu veut nous en délivrer,
et voilà la cause des "désordres" dont parle Madame Guyon.
Si la grâce nous échappe, cela n'était pas, ou n'était plus, la grâce.
Un échec, une calomnie, une déception, un sentiment d'impuissance,
de perte de contrôle, sont souvent une invitation à replonger
sans espoir ni crainte dans la présence nue, vide, libre,
sans chercher le pourquoi du comment.

Madame Guyon poursuit avec l'image de la mort nécessaire,
de cette mort qui "immortalise" :

"On estime une fleur heureuse parce qu'elle est cueillie par la main
du roi, et qu'elle lui a causé un instant de plaisir. Une personne
qui meurt dans les prémisses de l'esprit, dans toute sa beauté intérieure,
est comme cette agréable fleur. Personne ne doute du plaisir qu'elle a fait :
mais pour ces fleurs rares qu'on ne cueille point, qui sèchent et sont serrées 
par le jardinier, on n'y fait pas attention. Cependant elles s'immortalisent 
par leur mort, qui pourtant les fait paraître vilaines aux yeux des hommes
dans les mêmes parterres dont elles avaient peu de jours auparavant 
fait tout l'ornement.
L'ordre général donc est, que Dieu établit, qu'il détruit ce qu'il établit,
et qu'il perpétue les choses par cette destruction. Il établit d'abord les vertus : 
mais comme elles seraient semblables à la beauté d'une fleur que le vent
et la chaleur gâtent, il tire de cette vertu d'esprit, il ôte tout l'éclat au dehors
de peur qu'elle ne soit corrompue par la vanité, mais il en laisse
l'esprit et le sel, c'est-à-dire qu'il en laisse l'essentiel et la vérité,
et qu'il n'en ôte que l'éclat : c'est de cette manière qu'il la rend immortelle."

C'est vivre caché en Dieu, mourir dans l'immensité pour renaître en elle,
jusqu'à ne faire qu'un en esprit et en jouissance.

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