En Inde et ailleurs, on entend souvent les dévots chanter "djay", "victoire".
En sanskrit, jaya est soit le nom "victoire" soit la seconde personne du singulier de l'impératif de jî- "gagner, dominer".
Or, Utpaladeva a composé un hymne intitulé "Hymne de la victoire" (Jaya-stotra) dans lequel il répète "jaya, jaya !" en s'adressant au divin "Ô Dieu !" Hé Shiva !
Mais pourquoi ordonner au divin de "gagner" ? N'est-ce pas choquant de donner ainsi un ordre à la source de tout ordre ? Et n'est-il pas absolument vain de demander au Maître des maîtres de maîtriser son propre jeu ?
Voici le dernier verset de cet hymne, avec l'explication de Kshemarâja :
jaya jayabhājana jaya jitajanma-
jarāmaraṇa jaya jagajjyeṣṭha |
jaya jaya jaya jaya jaya jaya jaya
jaya jaya jaya jaya jaya jaya tryakṣa || 24 ||
jaya jayeti | jayabhājanatvaṃ cidrūpatvena sarvottamatvāt svātmana eva
cidrūpeśvarasya vastutaḥ sarvotkarṣavṛtterapi svātantryeṇa
viṣayavyagratāvasthāyāṃ gūhitātmatvātparāṅmukhasyeva
sammukhīkaraṇātmakaprārthanārūpo jayeti loḍartha ihādvayanaye aivocita
ityāśayenāpi uktaṃ jayabhājaneti dvayanaye tu bhedamayatvādeveśvaro na
sarvotkarṣeṇa vartate tato jayetyāśīrvyarthaiva athāpi varteta kiṃ parakṛtayā
prārthanayā vidhyādiśca loḍartha īśvaraviṣaye'nucita eveti bhedena
yajjayetyudīraṇamanupapannameva jitāni janmajarāmaraṇāni jayamāśritye'rthaḥ
jagajjyeṣṭhatā anāditvāt bhūyo bhūyo jaya
jayetyudghoṣaṇamudghoṣayiturbhaktisamāveśavaivaśyaṃ sūcayati
tryakṣetyāmantraṇaṃ niḥsāmānyotkarṣaśālitāṃ prakāśanāyeti śivam || 24 ||
|| 14 ||
Kshemarâja explique ainsi que l'impératif "victoire" a pour but, non la demande, mais l'adoration (prārthanā), laquelle consiste à se tourner vers soi (sammukhīkaraṇātmaka), à tourner vers le Soi cette attention tournée d'ordinaire vers le dehors, concentrée vers les objets, de sorte que nous sommes pour ainsi dire cachés à nous-mêmes ( viṣayavyagratāvasthāyāṃ gūhitātmatvātparāṅmukhasyeva
sammukhīkaraṇātmakaprārthanārūpo jayeti loḍartha ihādvayanaye).
Cela n'est possible que dans une approche non-duelle (advayanaye),
car en contexte dualiste, cela reviendrait à donner un ordre à Dieu,
ce qui serait sacrilège.
Chanter "gagne, gagne !" encore et encore (bhūyo bhūyo jaya
jayetyudghoṣaṇam), c'est ordonner à Dieu de se voir,
de se trouner vers soi.
La réalité est non-duel : le chanteur est le chanté.
Ce qui aspire à s'orienter vers le divin, c'est le divin.
Il n'y a qu'une seule conscience, une seule lumière.
Pierre, Paul ou Jacques ne peuvent rien percevoir ni penser,
ni désirer : à chaque fois, c'est l'absolu qui perçoit, qui pense,
qui désire. par libre jeu.
Mais le retour à soi est inévitable. Le cycle doit être complet.
L'amour divin est inévitable (bhaktisamāveśavaivaśyam),
élan qui est déjà
tout élan, même dans les objets. La solidité de cette pierre,
son poids,
son le désir de l'absolu de revenir à soi.
Et tout ce cycle ne forme qu'un seul mouvement,
comme les vagues de la mer.
Cela s'incarne dans la pratique du Mantra infini :
quand je récite aham... aham... "je... je...",
cela devient mahâ... mahâ... "vaste... vaste...".
La création est ouverture. La contraction est expansion.
Le mouvement vers le dehors et vers le dedans est un seul
mouvement, comme un cercle qui tourne sur lui-même,
à l'image de l'ouroboros.
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