La tradition du Tantra transmet des initiations dites "libératrices". En gros, il y a deux initiations : l'initiation régulière qui purifie l'âme et l'initiation spéciale, dite "du fils" ou "du Nirvâna", qui libère l'âme en l'unissant à Shiva.
Dans ce rite d'initiation, l'un des moments les plus importants et les plus anciens (car ces rites ont évolués) est celui de la "Main de Shiva".
Abhinava le décrit ainsi en bref, dans son Essence des tantras (Tantrasâra, XIII) :
tataḥ svadakṣiṇahaste dīpyatayā devatācakraṃ [pūjayitvā vāmapāṇineti śeṣaḥ] pūjayitvā taṃ hastaṃ mūrdhahṛnnābhiṣu śiṣyasya pāśān dahantaṃ nikṣipet
"Le maître doit, avec sa main gauche, adorer la roue des divinités éveillées dans sa main droite, puis il impose cette main sur la tête, le cœur et le nombril du disciple, brûlant ainsi ses liens".
Et dans la Lumière des tantras (Tantrâloka), il explique :
śiṣyaṃ vidhāya viśrāntiparyantaṃ dhyānayogataḥ ||
"Le maître brûle d'abord les liens
du disciple par le le rite de la Main de Shiva
jusqu'à l'apaisement ultime,
en visualisant (le Feu de la conscience
qui consume les liens du disciple)."
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Les "liens" ainsi "consumés" par le feu de la conscience en éveil sont les trois souillures, les trois croyances qui contractent l'âme, c'est-à-dire la Conscience universelle :
la croyance au bien et au mal, la croyance en l'existence d'une réalité extérieure à la conscience et la sensation d'être incomplet, imparfait. Cette dernière "pollution" est la plus subtile et antérieure au mental ; elle est inconsciente, en un sens.
Comme on voit, c'est la Conscience sous la forme du "maître" qui réveille la Conscience sous la forme du "disciple". Comme l'explique ailleurs Abhinavagupta, le but de ce rite est d'anéantir la croyance en une différence entre conscience universelle et conscience contractée, car la contraction est aussi "conscience". La Tradition est l'anéantissement de la croyance en la séparation entre initié et profane.
Par conséquent, seule la Conscience peut éveiller la Conscience. Le karma, le mérite, les bonnes actions, la pureté morale, les pratiques antérieures, etc. n'entrent pas en ligne de compte. La grâce est la liberté de la Conscience divine. Tout obéit à elle, elle n'obéit à rien. Aucune règle ne la détermine, c'est elle qui détermine toutes les règles. "A quoi bon une lampe pour éclairer le soleil ?" Les pratiques, les techniques et les règles ne valent que pour celles et ceux qi y croient, selon Abhinavagupta. Pour qui n'aspire qu'à la liberté, il y a liberté.
Le rite de la Main de Shiva est l'acte par lequel la Conscience s'éveille librement de son propre jeu d'oubli.
Après ce rite, le maître, la maîtresse et leurs disciples, hommes et femmes, boivent le vin consacré ainsi que le pain mystique (caru).
Ces deux rites, celui de la Main et celui du Pain et du Vin sacrés, sont le cœur de l'initiation dans le Tantra ésotérique Kaula, la cérémonie qui introduit l'individu à la nature divine de toutes choses.
Comme on le voit, cet acte est assez simple. Des pratiques supplémentaires ne sont requises que si le disciple demeure insensible. En effet, dans cette tradition, la plus intime du Tantra, le disciple n'est pas censé rester passif. Quand il "voit" le Mantra, c'est-à-dire à travers ces rites de la Main, du Pain et du Vin, il doit être littéralement touché par la grâce, envahi par l'énergie divine. Autrement, il est renvoyé à des pratiques de purification. Ou bien il est, plus simplement encore, renvoyé à ses pratiques religieuses antérieures, car il est peut-être destiné à rester profane en cette vie. Tel est le jeu de la Conscience.
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