Aujourd'hui, "en conscience" est devenu une expression du langage courant.
Mais que signifie "être conscient" ?
Selon la philosophie du Tantra, la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), être conscient, c'est s'émerveiller. Abhinavagupta explique la stance I, 5, 13 d'Utpaladeva, dans son Commentaire au Poème pour reconnaître le Seigneur en soi (Pratyabhijnâvimarshinî) :
svātmacamatkāralakṣaṇaḥ - aham iti svaviṣayāsvādarūpaḥ | ātmā iti padaṃ vyācaṣṭe svabhāva iti | etena pratyavamarśa ātmā yasyāḥ ... | ... na camatkriyate - aham
svātmā na parāmṛśyate, na svātmani tena prakāśyate, na aparicchinnatayā
bhāsyate, tato na cetyata iti ucyate | caitreṇa tu svātmani ahamiti
saṃrambhodyogollāsavibhūtiyogāt camatkriyate, svātmā parāmṛśyate,
svātmanyeva prakāśyate.
svātmā na parāmṛśyate, na svātmani tena prakāśyate, na aparicchinnatayā
bhāsyate, tato na cetyata iti ucyate | caitreṇa tu svātmani ahamiti
saṃrambhodyogollāsavibhūtiyogāt camatkriyate, svātmā parāmṛśyate,
svātmanyeva prakāśyate.
"La conscience est émerveillement de soi-même/en soi-même. Elle est délectation en de son domaine propre par l'acte de dire "je". Le mot "Soi" désigne la nature propre de la conscience. Elle est donc ce qui a pour "Soi" la conscience de soi... L'objet, au contraire, ne s'émerveille pas, il ne prend pas conscience de soi par l'acte de dire "je", il ne se manifeste donc pas à lui-même, il ne se manifeste pas sans limites, et on dit par conséquent qu'il n'est pas 'conscient'. Paul, en revanche, s'émerveille de soi-même par l'acte de dire 'je', parce qu'il est doué du pouvoir de se manifester, de s'élancer, de commencer un mouvement. Il prend donc conscience de soi, il est manifeste à lui-même."
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Qu'est-ce qui distingue un être conscient, d'un être qui ne l'est pas ?
La capacité de s'émerveiller, de savourer, d'apprécier, de pouvoir se dire "ah, je sens cela, c'est ainsi", etc. est le propre - le "Soi" - d'être conscient.
Or, ce pouvoir d'émerveillement, cette sensibilité qui est le cœur du fait d'être conscient, est ici définit en outre comme "pouvoir" (vibhûti) de commencer (samrambha), de mettre en mouvement, de s'élancer (udyoga) et de se manifester (ullâsa). Les choses, les objets, n'ont pas ce pouvoir. En fait, les choses n'ont aucun pouvoir propre, et c'est justement ce qui les définit comme choses. Moi, je ne suis pas une chose, car je suis cet émerveillement sans limites spatio-temporelles, ce pouvoir de se manifester, de manifester, et de mettre en mouvement. Je peux "commencer" absolument, sans que ce commencement soit lui-même inséré dans une chaîne de causes et d'effets. Je suis cause absolue, commencement absolu. Je puis en faire l'expérience en posant ma main à plat sur la table, par exemple, et en la soulevant doucement. Que se passe-t-il ? Je goût à cet instant ce pouvoir de commencer absolument, pouvoir qui est le propre de la conscience, du fait d'être conscient.
C'est pourquoi la voie vers l'éveil spirituel a deux faces : une face cognitive et une face affective ou conative. D'un côté, le pouvoir de connaître, de sentir, d'agir, de savourer. De l'autre, le pouvoir d'agir, de mettre en mouvement, de commencer un mouvement, d'initier une série de phénomènes, de créer directement une chose, de me créer comme telle ou telle chose. Voie de la présence silencieuse qui se goûte comme lumière en laquelle tout advient. Et voie du désir, frémissement subtil à l'orée de tout mouvement, de toute émotion.
Ces deux aspects se rejoignent dans l'acte de dire "je", voie royale d'éveil.
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