dimanche 8 mars 2020

Les femmes sont-elles impures pendant leur règles ?

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Jeune femme "impure" bannie dans une hutte, au Népal


Les femmes sont-elles impures pendant leur règles ?

Que cette question se pose encore en 2020, les bras m'en tombent.
Mais de fait, elle se pose.

Pas plus tard qu'hier, je partageais sur FB les résultats d'une enquête mondiale sur "les préjugés envers les femmes" aux résultats inquiétants : 90% des humains ont des préjugés (négatifs bien sûr) sur les femmes. De plus, c'est aujourd'hui, 8 mars 2020, la Journée Internationale des Droits de la Femme. Et parmi les préjugés contre les femmes, il y a celui selon lequel la femme serait "impure" durant ses lunes, ses menstrues.



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Femmes "impures" pendant leur règles, exclues de la communauté


Or, voilà qu'une femme, qui dirige apparemment un centre de yoga et de méditation en Grèce, nous soutient mordicus que, oui, la femme est impure pendant ses menstruations car, je cite, c'est une affaire "subtile" de "flux d'énergie" et qu'avant de juger une "tradition", il faut la comprendre. Entendez que les pauvres diablesses qui sont victimes de discriminations n'y entendent rien, aveugles qu'elles sont aux "réalités subtiles" transmises par la Tradition Primordiale, laquelle fut heureusement ressuscitée par Saint Guénon, grand défenseur des femmes, comme chacun sait. En effet, comme ce dernier ne trouvait pas d'esclave en France, il ne trouva rien de mieux que d'aller s'installer en Egypte, s'y convertir à l'islam afin de s'y approprier une femelle "féconde" afin d'obéir aux ordres d'Allah. Magnifique. Une vraie référence, ce Guénon, outre qu'il fut militant actif de l'Action Française. Bref.


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Femmes "impures" durant leurs règles

Comment peut-on défendre de telles croyances ? 

Je crois qu'une part de responsabilité est à chercher 
- dans le romantisme ("penser moins pour sentir plus") qui mine la confiance dans la rationalité depuis deux siècles ; 
- dans le postmodernisme ("toutes les cultures se valent"), véritable poison des esprits ; 
- dans le traditionalisme ("si la Tradition l'affirme, alors c'est vrai"), 
- et surtout dans l'exotisme ("ailleurs et avant, c'est mieux, forcément mieux"), lequel se nourrit de la grande passion de ce début de XXIè siècle : la haine de l'Occident, haine féroce, que je dénonce depuis vingt ans, mais dont le déferlement ne fait que commencer. Or cette haine, c'est aussi la haine des valeurs incarnée par l'Europe des Lumières - je veux dire la raison, le progrès, l'idée que le futur ne doit pas nécessairement imiter le passer, l'idée que la nature n'est pas toujours bonne, l'idée que les humains peuvent décider de leur avenir, l'émancipation par l'éducation, par le savoir, par la méthode expérimentale, la lutte contre l'obscurantisme et les croyances qui nous pourrissent la vie. Et l'égalité des sexes.



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Car oui, ne vous y méprenez pas, cette guerre des idées, cette guerre culturelle, a ses victimes, bien concrètes, ses héros, ses lâches et ses soldats. Du sang et des larmes. Par millions. Par centaines de millions. Je ne parlerai ici que de l'Inde, référence pour beaucoup d'âme égarées, mais la situation est pire en Afrique et dans les pays musulmans.

Revenons à la croyances selon laquelle les femmes sont impures durant leur menstruation. 
C'est une croyance très répandue. 
En Inde, elle empoisonne la vie de centaines de millions de femmes (360 millions). 

La vision négative de la menstruation est fondée sur l'autorité de la tradition brahmanique, dont la source la plus célèbre (mais pas la seule), sont les Lois de Manou, le "premier homme", qui visiblement n'était pas un ami des femmes. 

Selon lui, une femme ne doit jamais "être indépendante" (svatantrâ, V, 145). La femme est toujours mineure (abalâ, "sans force"). Elle doit toujours rester sous la surveillance et la tutelle du père, du frère, de l'oncle, puis du mari (ibid.). Sinon, nous averti ce brave Manou, la société coure à sa ruine, car les castes et les lignages vont se perdre, ils vont perdre leur pureté en se mélangeant.  Tout l'ordre naturel des choses (le dharma selon Manou) est basé sur la pureté (shuddhi, shuci). 

La femme qui a ses règles est impure (ashuddhâ), sale (malâ), réprouvée (dûshitâ), polluée (liptâ), etc. Elle doit se cacher, se purifier, jeûner pendant une période plus ou moins longue selon sa caste, la couleur de sa peau. Quiconque la touche, mange sa nourriture ou même croise son ombre, devient à son tour impur et doit expier selon les règles de la tradition (prâyashcitta).

Comme dit l'Auteur du prétendu "plus beau fleuron de la discrimination" (Viveka-chudâ-mani) erronément attribué à Shankara, "mieux vaux renaître homme que femme". Le simple fait d'être femme est la preuve d'un karma inférieur, d'un péché (pâpa, "ce qui fait chuter") commis dans une vie antérieure. 

La Smriti, la "tradition" brahmaniste ne tarit pas d'imprécations contre les femmes. Le Sâmkhya, le Yoga de Patanjali, le Vedânta sont tout entiers fondés sur le mépris du féminin : leur propos n'est-il pas de délivrer l'Homme (purusha) de l'emprise de la Nature (prakriti), de l'Illusion (mâyâ) ? Cette dernière est, bien entendu, féminine et représentée comme une femme. Dans le Sâmkhya, philosophie misogyne à l'extrême, la Nature (c'est-à-dire le corps, la matière, le monde) est comparé à une danseuse impudique qui hypnotise l'Homme fait de pure conscience, mais qui doit finir par quitter la scène pour laisser la place à l'Homme pur, seule réalité réelle, la femme n'étant qu'une souillure accidentelle (âgantuka-mala). 

Comment s'étonner de voir tant de femmes avoir des problèmes avec leurs règles quand elles suivent aveuglément Patanjali et son délire de pureté pathologique ? 
Combien de corps abîmés par cette folie d'un yoga inventé par des psychopathes pour exprimer leur haine viscérale (!) de la chair ? 

Dans le bouddhisme, il en va de même. La femme est une créature inférieure, les femmes sont des "wo-men", des hommes maudits qui prient pour une renaissance masculine. 

Comment alors s'étonner des abus sexuels perpétrés par de prétendus "lamas" (gourou, en tibétain), élevés dans la défiance et le mépris des femmes ? 

Dans la plupart des traditions tantriques, la femme n'est qu'une réserve d'énergie que le "héros" vampirise grâce à sa technologie yogique supérieure. 

Est-ce un hasard si, en Occident, ce tantrisme de plombier tordu a attiré des foldingos comme Crowley et des fascistes comme Evola ? Est-ce un hasard si, aujourd'hui, les écoles de yoga et de tantra font tant parler d'elles dans la rubrique des faits divers ? 

Non, de même que le terrorisme islamique plonge ses racines dans les élucubrations racistes d'Abraham, de même ces scandales ont leurs causes profondes dans les croyances de ces traditions à propos des femmes. Ce ne sont pas des accidents ou des dérives dues à des personnalités déviantes (ce ne sont là que des causes secondaires), mais bien des effets logiques et nécessaire de croyances profondément enracinées dans ces traditions. 


Femme "impure" bannie du village, séquestrée dans une cellule

Si des progrès sont possibles, ce sera au prix d'un inventaire total et minutieux. Sur ce point, je suis d'accord avec les féministes : il faut jeter sur la culture, en général, un regard de discernement. 

Mais comment cela sera-t-il possible, tant que l'on adhérera aveuglément à ce romantisme puérile qui aspire à "penser moins pour sentir plus" et qui affiche fièrement son mépris de la raison ? A quoi s'attendre dans ces conditions ? Que peut-on espérer tant que l'on se berce de superstitions fumeuses ? De pseudo "science yogiques" ? De prétendues "sciences védiques" ? 



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Femme "impure" bannie hors du village avec ses enfants. Beaucoup meurent.

La seule tradition pré-moderne qui a une vision positive de la femme - car elle est très probablement inspirée par des femmes - c'est le shivaïsme du Cachemire.

Au niveau des tantras, le Brahmayâmala Tantra dit avoir été révélé par une femme. La tradition la plus élevée dans la hiérarchie des traditions tantriques, le Kâlîkrama, a été révélé par une femme, Mangalâ. 

Dans son Tantrâloka, Abhinavagupta affirme que, selon sa tradition (Kâlîkrama/Trika), une femme peut réaliser en un mois ce qu'un homme met des années à réaliser. 
Et il explique pourquoi. 
La femme possède dans son corps une substance très puissante capable d'engendrer la vie : le sang menstruel, c'est-à-dire, selon les connaissances de l'époque, la semence féminine. 
Cette semence est de la matière capable d'engendrer la vie. Le miracle des miracles. La merveille des merveilles. Abhinava et sa tradition adoraient cette substance sacrée, pure et puissante entre toutes. 

Car Abhinava nous rappelle ce qu'est la véritable pureté : la pureté, c'est la vie (jîva), c'est-à-dire la conscience, la liberté, le mouvement, le pouvoir de "ne pas être simplement limité à ce que l'on est" (sva-âtma-nistha : notez que c'est exactement l'inverse des définitions de l'absolu données par les traditions patriarcales). C'est la chair (vapus) qui se manifeste concrètement comme pulsations cardiaques, comme respiration, comme mouvement. L'homme est aussi vivant, donc il est aussi pur. Tout est pur. 

Mais seule la femme possède la vie qui engendre la vie, fait observer Abhinava, plein de bon sens.

Réf : chap. IV, VI et XXIX du Tantrâloka.
Voir aussi La Kundalinî et l'énergie des profondeurs, de Lilian Silburn qui, bien qu'elle soit restée célibataire et adepte (en apparence) d'un gourou sufi qui ne respectait pas les femmes, ne s'en laissait pas compter, à l'image d'une Alexandra David Neel et autres aventurières libres d'esprit et de corps.

A ma connaissance, la philosophie (plus que la tradition) du shivaïsme du Cachemire est la seule à reconnaître la pureté du sang menstruel et l'éminence du pouvoir procréateur de la femme. Je n'en connais pas d'autre qui l'affirme aussi explicitement.

Le plus fort est qu'Abhinava réfute les superstitions brahmanistes (qui rejoignent celles des abrahamistes) en partant des principes mêmes du brahmanisme. En effet, selon le brahmanisme, le critère de la pureté est la proximité à la vie. Plus on s'approche de la mort, plus c'est impur. 

Mais alors pourquoi, demande Abhinava, voir de l'impur dans le sang, substance de vie et de pouvoir de vie ? 

Abhinava pointe, en la raillant, cette contradiction, cette névrose interne du brahmanisme, mais que l'on pourrait également pointer dans l'abrahamisme (moins dans le bouddhisme, lequel condamne d'emblée la vie comme étant une maladie). Je tiens qu'une grande partie des religions existe pour camoufler cette dissonance cognitive.

Et en suivant la méthode expérimentale combinée aux mathématiques (la "méthode scientifique"), il devient absolument certain que le sang menstruel n'a rien d'impur. Cette croyance n'est que baliverne. Il appartient à tous les êtres doués de bon sens et de bonne volonté de la rejeter aux oubliettes des abominations et autres délires d'une humanité en croissance.

En Inde, cette croyance fait souffrir. Elle tue. Elle empoisonne.

Un tour d'horizon des croyances funestes autour des règles :
https://en.wikipedia.org/wiki/Culture_and_menstruation

Il y a encore deux semaines, des étudiants forcent des jeunes filles à ses déshabiller pour verifier qu'elles ne souillent pas le campus :
https://www.bbc.com/news/world-asia-india-51504992

Comment les règles d'impureté pourrisent la vie de centaines de millions de femmes en Inde :
https://edition.cnn.com/2018/05/28/asia/india-menstruation-myna-mahila-intl/index.html

32 millions (oui, 23 millions) de jeunes filles quittent l'école chaque année à cause de leurs règles :
https://swachhindia.ndtv.com/23-million-women-drop-out-of-school-every-year-when-they-start-menstruating-in-india-17838/

Le tabou de l'impureté entraîne un manque d'hygiène qui détruit les corps :
https://swachhindia.ndtv.com/menstrual-hygiene-day-facts-26-percent-use-sanitary-pads-periods-34309/

De plus en plus d'Indiennes essaient de supprimer leurs règles :
https://www.vice.com/en_in/article/j5y8x3/some-indian-women-are-quietly-cancelling-their-periods-and-its-empowering

Un beau documentaire sur les tabous liés aux règles :
https://www.france24.com/en/20190225-india-oscar-winning-documentary-period-end-sentence-stigma-menstruation-zehtabchi

Une vidéo sur le calvaire des femmes en Inde, à cause des menstrues :
https://www.youtube.com/watch?v=6I6CH0nCjBc

Des filles sont forcées de montrer leur sous-vêtements à leurs enseignants pour prouver qu'elles ne sont pas "impures" :
https://www.abc.net.au/news/2020-02-17/indian-students-forced-to-remove-underpants-menstruation/11972342

Les femmes des campagnes, bannies dans des huttes hors des villages pendant leurs règles :
https://www.theguardian.com/global-development/2015/dec/22/india-menstruation-periods-gaokor-women-isolated

Un autre cas d'étudiantes forcées de prouver leur pureté :
https://www.thejakartapost.com/news/2020/02/14/indian-students-stripped-for-menstruation-checks.html

Encore un article sur les conséquences désastreuses de ces superstitions débiles :
https://www.indiaspend.com/most-indian-girls-are-unprepared-for-menstruation-taboo-behind-unhygienic-practices/

Sur la façon dont les croyances sur les règles sont le pilier du patriarcat rural :
https://villagevolunteers.org/14825-2/

Un article académique sur ces croyances au Tamil Nadu :
https://www.jstor.org/stable/40458513?seq=1

Voilà. Ce ne sont là que quelques exemples.
Il faut extirper cette abomination et détruire les pseudo-arguments qui essaient de les justifier.
La tradition est un héritage. Quand on reçoit un héritage, on dresse un inventaire. On fait bon usage de sa raison, de son bon sens, de son discernement. On ne garde pas tout aveuglément.
Écrasons les superstitions qui oppriment, tuent et détruisent la vie !

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