« J'ai fait cette nuit un songe admirable. Il me semblait que m'étant cachée dans le coin d'un lit pour prier, on m'a appris comme les anges contemplent.
C'est quelque chose de si vaste et de si grand que je ne le puis exprimer.
J'ai compris que les anges ne pensent point, et dans tout ce temps il n'a pas été admis une seule pensée.
L'âme élevée au-dessus de tout ce qui est possible n'admet ni vue distincte ni objet, mais elle est abîmée dans ce Dieu suressentiel. C'est quelque chose qui surpasse toute intelligence.
J'ai compris la nécessité de n'admettre aucune pensée quelle qu'elle soit, ni bonne ni mauvaise, et comment il faut être dégagé de toute espèce [= de tout concept] pour une pure oraison.
Il y avait longtemps que je l'avais compris, mais non pas de cette manière.
Ce que nous pouvons et devons faire de notre part est de nous défaire de toute pensées, de tout raisonnement de toutes espèces, n'en admettant aucune volontairement, non seulement en priant, mais durant le jour, les laissant tomber dès qu'elles paraissent, sans les admettre, et nous aurons cette contemplation suressentielle, qui ne peut être donnée qu'à l'esprit purgé. »
Madame Guyon, vers 1710, dans Œuvres mystiques, p. 607, éd. par D. Tronc, Honoré Champion, Paris
Mais il ne faudrait pas en faire une religion du rejet de la raison. C'est le défaut des enthousiastes? Ils font d'une partie le tout. A mon sens, il s'agit là simplement de décrire l'expérience brute, quand on fait silence, puis quand silence se fait et défait tout ce qui doit l'être.
Guyon dit ailleurs :
"Le meilleur de tous les états est de recueillir au-dedans l'esprit par le moyen de la volonté amoureuse de son Dieu, qui rassemble autour d'elle les puissances [=les facultés mentales et corporelles] et semble se les réunir. C'est une contemplation amoureuse qui n'envisage rien de distinct en Dieu, mais qui l'aime d'autant plus que l'esprit s'abîme dans une foi implicite, non par effort ni par contention d'esprit, mais par amour.
On ne fait nul effort d'esprit pour s'abstraire, mais l'âme s'enfonçant de plus en plus dans l'amour, accoutume l'esprit à laisser tomber toutes les pensées, non par effort ou raisonnement, mais cessant de les retenir, elles tombent d'elles-mêmes.
(...)
Par cette voie, l'âme trouve en peu de temps son centre, ce qui n'arrive pas par la simple abstraction d'esprit : car quoique l'âme y ait une certaine paix qui vient de l'abstraction des objets multipliés, cette paix n'est ni savoureuse ni si profonde que par la voie de la volonté."
Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. par D. Tronc, Honoré Champion, p. 618
Elle indique quelque chose de très simple : juste se laisser aller. Doucement, sans technique ni plan. Là encore, c'est une description de l'expérience brute. Il ne faut pas se laisser impresionner par les mots. "Dieu", "amour" sont des signes qui pointent vers le flot de l'expérience mise à nu. L'expérience, c'est cet espace dans lequel jaillit le corps-monde. Ce genre de discours est une invitation à savourer, à explorer ce mystère évident. Ni plus, ni moins.
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