Différence entre intelligence et raison
La vie mystique est l'expérience directe de Dieu. Or, ceci n'est pas possible dans la raison. Il y a donc une autre partie de l'entendement, l'intelligence ou intuition intellectuelle, encore désignée par de nombreux synonymes hérités de la tradition platonicienne : fond de l'âme, un de l'âme, fine pointe, fleur de l'intellect, cime de l'esprit. "Intelligence" traduit le grec noésis, que l'on rend également par "intellect". Ainsi, dans le texte mystique ci-dessous, l'intellect n'est pas une faculté discursive, mais le pouvoir de connaître Dieu directement et indiciblement.
"Intellectuel" n'est donc pas synonyme d'une vie médiatique et mentale intense, mais d'une contemplation du divin en soi et dans l'univers. Selon la tradition, platonicienne, les anges (c'est-à-dire les dieux) vivent de cette contemplation, contemplation dont l'intensité comprend une infinité de degrés, car la vision de Dieu, même directe, peut s'approfondir à l'infini, attendu que Dieu est infini. La raison joue alors un rôle ambigu : dans le platonisme et chez les mystiques chrétiens qui s'en inspirent le plus, la raison prépare à la contemplation mystique, à l'intellection ou intuition de Dieu. Mais dans d'autres traditions (celle des Franciscains principalement), la raison est davantage définie comme un obstacle à l'union mystique, et c'est la volonté, faculté de l'amour, qui est alors privilégié.
Mais la plupart des mystiques s'accordent à reconnaître qu'il n'y a pas d'intelligence sans amour, et que l'amour est une sorte de connaissance.
Il y a donc deux façons de connaître : par le raisonnement et par l'intelligence. Le raisonnement est discursif et progressif. L'intelligence est intuitive et atemporelle. Elle connaît d'un coup - ce que l'on désigne par le terme de "concept", qui ne désigne pas ici une construction mentale, mais une compréhension globale et simultanée de tous les aspects d'un objet.
Dans ce passage, mystique aveugle de Marseille, docteur de la Sorbonne et fondateur de l'Académie de Marseille en 1715, explique la distinction traditionnelle entre raison et intelligence :
"L'entendement de l'âme est un, mais il a une double vertu, comme une même fleur a diverses propriétés.
Sa première vertu est une force de raisonner en tirant une conclusion à partir de ses principes, et cela s'appelle ratiocination ou discours.
L'autre est une force d'entendre sans raisonner, ce qui se fait par l'unique et simple regard de l'objet qui se présente et on l'appelle intelligence.
...
"L'intelligence ainsi entendue est nommée par les mystiques : sommet ou partie supérieure de l'entendement, ou en d'autres termes qui signifient la même chose, c'est-à-dire une manière plus simple et plus universelle de concevoir. Celui qui raisonne prend les parties de son objet les unes après les autres, les examine, les définit, les divise, les démontre. Mais celui qui regarde les choses d'une simple vue, se propose tout son objet à la fois sans rechercher ni principe ni conséquence, et ainsi il jouit sans peine d'un concept universel de toutes les vérités particulières qui se trouvent dans son étendue."
François Malaval, La belle ténèbre, II, 3, p. 154
Le Graduel d'Aliénor :
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