Tout le monde, ou presque, s'accorde à reconnaître que la méditation est un regard simple sur ce qui est - sur Dieu : sans images ni pensées articulées.
Mais ce que peu reconnaissent, c'est qu'il existe deux sortes de méditation ainsi entendue : - d'une part, la méditation qui prend l'absence de pensée, ou le silence intérieur, comme moyen ; - et, d'autre part, la méditation qui prend l'amour comme moyen.
Dans le passage suivant, Madame Guyon, une mystique du XVIIè, précise cette distinction vitale :
"Il y a deux sortes de simples regards [=de méditation], l'un bon et l'autre dangereux.
Le dangereux est de s'abstraire de toutes sortes d'objets sans en avoir aucun [=de faire le vide], et cela activement [=grâce à une technique], en sorte que, quoique l'âme ne soit pas intérieure ou très peu, étant encore dans l'activité [=vivant encore sous la croyance qu'elle peut vivre et agir séparément de Dieu], elle s'abstrait à la manière des philosophes de tous les objets, fantômes, imaginations qui empêchent une certaine recherche naturelle [=dans les limites du mental] de la vérité."
En effet, l'imagination et les sensations font obstacle à la vision de la vérité. Par exemple, pour faire des mathématiques, il faut être capable de se concentrer et de mettre de côté les images. De même, pour faire de la science, il faut savoir mettre de côté ses croyances naïves (nos "intuitions") pour commencer à penser. Et aussi en métaphysique. Or, c'est exactement ce que font, par exemple, les adeptes de la non-dualité de nos jours : ils font abstraction de leurs croyances, de leurs sensations, etc., pour déboucher sur un état de vide, un état sans jugement, pris pour l'état "ultime". Mais en réalité, ce n'est qu'un état mental, mondain, "naturel", une sorte d'état créé artificiellement en repoussant tous les états. Et surtout, même si l'on y goûte une certaine paix, elle reste basée sur l'idée que l'on peut agir séparément de Dieu, même si l'on affirme alors que "je n'existe pas" ou que "la personne est une illusion". Tout cela reste dans le champ de la nature, de cette manière d'être où l'homme s'est détourné de Dieu. Voilà pourquoi ce genre de démarche est stérile. Et même la paix y est récupérée par l'ego, comme le dira Madame Guyon dans la suite de ce passage.
Mais poursuivons sa lecture :
"Ceux qui se sont abstrait de la sorte on eu à la vérité quelque connaissance d'une Être Souverain [ou quelque soit le nom qu'on lui donne : vacuité, Soi, conscience...] supérieur à tout autre, et cela par une tension surprenante [=un effort de concentration ] de leur esprit et une abstraction de tout le reste. Ce n'est point là un état d'oraison [=de méditation]."
Il existe une autre sorte de méditation, où l'on reste sans pensées, dans un état de pure présence de pure conscience :
"Il y a un autre simple regard, qui envisage Dieu tel qu'il est, s'abstrayant avec effort de tout le reste pour tendre plus purement à ce pur et sublime objet. Cet état est bon, mais ce n'est ni le meilleur, ni le plus court pour arriver à Dieu."
C'est l'état atteint par les adeptes de la non-dualité dans ses divers variantes. Cela est beau et bon. Mais ce n'est pas le meilleur.
Mais alors, qu'est-ce que la meilleure méditation, le meilleur état ?
"Le meilleur de tous les états est de recueillir au-dedans l'esprit par le moyen de la volonté amoureuse de son Dieu, qui rassemble autour d'elle les puissances [=les énergies du corps et de l'esprit] et semble se les réunir.
C'est une contemplation amoureuse qui n'envisage rien de distinct en Dieu, mais qui l'aime d'autant plus que l'esprit s'abîme dans une foi implicite [=un amour non exprimé en mots ou pensées articulées], non par l'effort, ni par contention d'esprit [=concentration], mais par amour. On ne fait nul effort d'esprit pour s'abstraire, mais l'âme s'enfonçant de plus en plus dans l'amour, accoutume l'esprit à laisser tomber toutes les pensées, non par l'effort ou raisonnement, mais cessant de les retenir, elles tombent d'elles-mêmes."
La clé est l'amour.
Sans amour, rien d'authentique ne se passe, même si l'on atteint un état sans pensées, même si l'on acquière une certitude simple d'être l'ultime, le vide ou la conscience, même si l'on croit réaliser l'absolu. Tout cela reste stérile, et tourne mal dès que les circonstances s'y prêtent. Ou bien même, cette "non-dualité" elle-même devient vide, absurde. On a l'impression d'être épuisé, que rien n'a de goût. Mais le symptôme le plus décisif reste que l'ego y demeure tel quel. Dans cette voie, tout revient finalement à l'ego : la paix, la clarté, le confort du corps, les capacités mentales, et même l'amour, tout est récupéré tôt ou tard. D'où des désillusions et des dérives comme on en voit tant. On peut bien dire que l'on existe plus, se complaire dans un vide factice, raconter qu'on est dans l'indicible, l'amour inconditionnel, la liberté, ou même se livrer à des exercices de privation, d'auto-humiliation, rien n'y fait. Comme dans une sorte de cauchemar, tout revient à l'ego. Tout progrès semble illusoire.
Mais si l'on s'ouvre à l'amour :
"Alors l'âme prend la véritable voie qui est le recueillement intime, où elle trouve la présence de Dieu et un concours merveilleux de sa bonté qui lui fait tomber insensiblement toute multiplicité, tout acte, toute parole, et met l'âme dans un silence goûté."
(Madame Guyon, Discours..., tome I, 46)
La différence entre les deux méditation se ramène à ceci : dans la voie de l'ego, on pratique pour atteindre Dieu - même si l'on prétend être dans le non-agir etc. Dans la voie de l'amour, on se laisse faire. Comme c'est Dieu qui fait, c'est bien fait. Voilà tout.
La différence est d'expérience : dans la première méditation, on a une certain repos. Mais insipide en comparaison de ce que l'amour fait goûter. En fait, c'est seulement l'expérience de l'amour qui nous fait prendre conscience de la vanité des autres voies. Cette approche est la vie. On réalise aussi sa simplicité, accessible à tous. Bref. Il y aurait tant à développer. Mais que chacun goûte, maintenant, par soi-même. Juste se laisser prendre. Infini.
Dans le prochain billet, nous verrons pourquoi cette voie est "savoureuse".
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